Un filtre essentiel avant d’automatiser une action Customer Success
INTRODUCTION
“70% des utilisateurs d’intelligence artificielle (IA) générative en perçoivent les bénéfices immédiats. Mais seuls 11% l’utilisent quotidiennement. Et la moitié des salariés y recourent rarement, voire jamais” (Ipsos-Greenworking).
Cette statistique, présentée lors de la table ronde d’ouverture de la Journée “Influence IA” (organisé par le magazine OUR(S) | Le média de la communication au magnifique Rooftop52 | High level events à Lyon), est restée présente dans mon esprit.
J’ai assisté à 8 interventions brillantes : Wait for it qui génère des vidéos publicitaires avec l’IA en dont l’adoption ouvre le champ des possibles, Empirik qui nous a présenté l’apport de faire “travailler” plusieurs profils différents, Yumens BtoB – MV Group qui démontre son expertise face au GEO, socIAty qui déploie avec brio assistants, agents IA, pour gérer de nombreuses tâches « 3C », 410-gone.fr Agence SEO & e-commerce Magento et Prestashop qui décrypte l’analyse du trafic provenant des LLMs, CoSpirit Groupe qui prédit la performance des campagnes avant diffusion, IDAPP qui rappelle l’importance de l’intention avant de passer à l’action, LittleBigCode qui industrialise la gouvernance des données… Des présentations et des démos impressionnantes. Des gains de productivité spectaculaires.
Mais j’ai réalisé quelque chose : tout le monde parlait de clarifier ce qu’on peut automatiser… Personne n’a posé néanmoins directement la question inverse :
Qu’est-ce qu’on ne doit pas automatiser ?
Ou plus précisément : qu’est-ce que nos clients valorisent dans notre présence, et qu’on risque de détruire en automatisant ?
Puis Yannick Socquet, CEO de SocIAty, a présenté une approche que j’ai trouvée brillante dans sa simplicité : les “3C”.
LES « 3C » : UNE GRILLE PUISSANTE POUR IDENTIFIER LES CANDIDATS À L’AUTOMATISATION
Yannick propose un filtre simple et efficace pour prioriser ce qui mérite d’être automatisé : les « 3C ».
- Chronophage : ça prend un temps fou
- Coûteux : ça pèse sur le budget (en temps ou en ressources)
- Chiant : personne n’aime le faire
Si un processus coche ces trois cases, c’est un candidat évident à l’automatisation. Simple. Mémorisable. Actionnable.
En tant que spécialiste Customer Success (CS), j’ai immédiatement pensé à nos processus mis en œuvre dans la relation client : les rapports mensuels, les extractions de métriques, les mises à jour CRM, les relances onboarding. Tous chronophages, souvent coûteux en temps, parfois franchement pénibles.
Logique d’automatiser, non ?
Oui… mais en testant mentalement cette grille sur mes cas orientés client-first, j’ai buté sur une limite.
LE SECOND FILTRE : LA PERCEPTION CLIENT
Un processus peut être Chronophage/Coûteux/Chiant pour l’équipe Customer Success et pourtant valorisé par le client.
Prenons un exemple concret : le Quarterly Business Review (QBR) – ce bilan trimestriel où le Customer Success Manager ou le Key Account présente au client ses métriques d’usage, ses insights, ses recommandations stratégiques.
Du point de vue du CSM :
- 3-4 heures de préparation (collecte des données, analyse, rédaction, création slides)
- Répétitif (même structure tous les trimestres)
- Pénible quand on gère 15-20 comptes
→ C’est “3C”. Candidat logique à l’automatisation.
Du point de vue du client :
- C’est un rituel rassurant : « Mon fournisseur me suit, il pense à moi »
- C’est une preuve de soin : « Il a pris le temps de personnaliser ce rapport pour MON contexte »
- C’est un moment de connexion humaine : « On se voit régulièrement, on co-construit »
→ C’est ce que j’appelle une ‘signalétique de soin’ : un processus visible qui fonctionne comme un panneau indicateur pour le client. Tout comme les panneaux dans un hôpital signalent ‘quelqu’un veille sur vous’, certains processus Customer Success sont des marqueurs tangibles que le client ‘lit’ pour évaluer deux choses critiques : (1) Est-ce que je compte vraiment pour eux ? (2) Prennent-ils en compte ma spécificité ? »
Si vous automatisez complètement la génération du QBR (un agent IA produit le deck en 10 minutes), vous gagnez du temps… mais le client peut percevoir un rapport générique, déshumanisé, « made by AI ». Vous effacez un panneau indicateur critique. Le client ne sait plus s’il compte vraiment pour vous.
C’est là que j’ai réalisé qu’il manquait à mon sens un second filtre aux “3C” lorsqu’est impliqué la relation client.
Les “3C” identifient ce qui est pénible pour l’équipe. Toutefois, il est central de considérer ce que le client valorise dans notre présence.
Tous les processus ne sont pas égaux aux yeux du client :
- Certains sont invisibles (extraction métriques, mise à jour CRM, préparation interne) → automatisables sans risque
- D’autres sont des signalétiques de soin : des preuves tangibles qu’on pense à eux ET qu’on comprend leur contexte unique (rapport personnalisé, appel proactif, formation dédiée) → dangereux à automatiser sans précaution.
Le vrai enjeu n’est pas « automatiser ou pas ». C’est discerner ce qui peut l’être sans dégrader ce que les clients valorisent, sans retirer les marques de soin qui fonde la relation, la confiance.
LA GRILLE DE DISCERNEMENT : 5 QUESTIONS ESSENTIELLES
Avant d’automatiser un processus Customer Success, posez-vous ces 5 questions :
Question 1 – Visibilité client « Ce processus est-il visible par le client ou invisible (back-office) ? »
- Si invisible → Candidat prioritaire à l’automatisation
- Si visible → Passez aux questions suivantes
Question 2 – Signalétique de soin « Si ce processus est visible, est-il perçu par le client comme une preuve d’attention ou comme une simple formalité ? »
- Preuve d’attention → Dangereux à automatiser totalement
- Formalité → Automatisable si bien exécuté
Question 3 – Jugement tacite « Ce processus contient-il du jugement humain que votre équipe a développé avec l’expérience ? »
- Si oui → Automatisation partielle uniquement (collecte data, pas décision)
- Si non → Automatisable totalement
Question 4 – Signal d’alerte « Si ce processus disparaît du radar de votre CSM, quel signal perdez-vous sur la santé du compte ? »
- Signal critique → Ne pas automatiser, ou automatiser avec alertes humaines
- Pas de signal → Automatisable sans risque
Question 5 – Test de projection client « Si vous automatisez et qu’un client se plaint 3 mois après, que dira-t-il exactement ? »
- Si vous pouvez anticiper la plainte → Ne pas automatiser ou prévoir la mitigation
- Si aucune plainte prévisible → Automatisation safe
Ces 5 questions vous aident à discerner entre ce qui est automatisable sans conséquence et ce qui nécessite de la nuance.
LA MATRICE : 4 SCÉNARIOS DE DÉCISION
En croisant les “3C” (irritant équipe) avec la perception client (valorisé ou non), je vous propose la matrice d’aide à la décision suivante :

EXEMPLE CONCRET : OÙ PLACER VOS BILANS CLIENTS ?
Testons cette matrice sur un cas très largement répandu : les bilans clients récurrents.
Avant de vous donner ma réponse, posez-vous la question pour VOS bilans clients :
Vos reportings trimestriels (Quarterly Business Review) :
- Sont-ils « 3C » pour vos CSM ? (3-4h de préparation, pénibles)
- Sont-ils valorisés par vos clients ? (rituel important ou reporting routinier)
- → Dans quel quadrant les placez-vous ?
Vos reportings mensuels (Monthly Business Review) :
- Même raisonnement : « 3C » ? Valorisés ? Quadrant ?
Pourquoi cet exercice n’est pas anodin :
- Si vous positionnez un QBR en Quadrant 2 (automatisation totale) alors que vos clients le perçoivent comme une preuve d’attention → vous créez un irritant invisible qui ressortira au renouvellement
- Si vous le positionnez en Quadrant 3 (tout préserver humain) alors qu’il n’apporte pas de valeur client → vous gaspillez 20h/mois/CSM sur un rituel inutile
Le bon quadrant dépend de votre contexte : profil client, maturité de la relation, capacité de votre équipe.
Prenez 30 secondes avant de scroller.
Voici comment je les positionne dans la plupart des contextes B2B :
QBR trimestriel → Quadrant 1 (Automatisation partielle)
Pourquoi :
- 3-4h de préparation (collecte metrics, analyse, rédaction insights) = Chronophage ✓
- Perçu par le client comme un moment stratégique : prise de recul, preuve d’investissement = Valorisé ✓
Donc : « 3C » + Valorisé = automatiser le back-office invisible, préserver la valeur front-office
Concrètement :
- ✅ Automatiser : extraction des données, génération graphiques, détection tendances
- ❌ Préserver humain : analyse contextuelle (« Pourquoi cette baisse dans VOTRE cas »), recommandations personnalisées, moment d’échange
MBR mensuel → Entre Quadrant 1 et 2 (selon votre contexte)
Pourquoi :
- 1-2h de préparation = Chronophage (mais moins) ✓
- Perçu par le client… ça dépend ⚠️
Il glisse dans la matrice selon votre réalité :
- Si votre MBR reste un moment d’échange stratégique → Quadrant 1 (automatisation partielle)
- Si votre MBR est devenu un email avec dashboard rarement consulté → Quadrant 2 (automatisation totale possible, voire suppression)
Ce positionnement n’est pas universel. Il varie selon 3 facteurs :
1. Profil client
- Small and Medium Business (SMB) peu engagés → QBR peut glisser vers Quadrant 2
- Enterprise avec sponsors C-level → QBR reste Quadrant 1 ou 3
2. Maturité de la relation
- Onboarding (premiers mois) → bilans fréquents = haute valeur
- Rétention mature (2+ ans) → risque de routine
3. Capacité de votre équipe CS
- CSM seniors → peuvent personnaliser même avec automatisation
- CSM juniors → l’automatisation peut masquer des lacunes d’analyse
Le même processus (« bilan client ») se positionne différemment selon ces variables.
C’est pour ça qu’on ne peut pas avoir une liste universelle de « ce qu’il faut automatiser ». Il faut discerner, contexte par contexte, ce qui participe à VOTRE signalétique du soin.
Si vos QBR sont devenus des formalités, ils glissent vers Quadrant 2. Si vos MBR sont des moments de co-construction, ils restent en Quadrant 1.
La matrice reflète votre réalité client, pas une vérité absolue.
CONCLUSION
Les « 3C » de Yannick Socquet (SocIAty) sont puissants pour identifier les processus automatisables. En Customer Success, où la relation client est au cœur de la valeur, il faut ajouter un second filtre : ce que le client valorise dans notre présence.
Parce qu’un processus peut être Chronophage/Coûteux/Chiant pour votre équipe et pourtant être une signalétique de soin pour vos clients. Automatiser sans discernement, c’est risquer de créer de l’efficacité interne au prix de la dégradation de la relation client.
Le discernement n’est pas un luxe intellectuel. C’est une compétence stratégique.
Avant d’automatiser un workflow qui implique la relation de vos équipes avec vos clients, posez-vous les 5 questions. Positionnez vos processus dans la matrice. Et surtout : acceptez qu’il n’y ait pas de réponse universelle. Votre contexte (profil client, maturité relation, capacité équipe) détermine le bon quadrant.
Si vous êtes CEO ou Chief Revenue Officer (CRO) d’une scale-up SaaS B2B et que vous vous posez ces questions. Échangeons 20 minutes. J’aide les dirigeants à faire ce diagnostic. Messages privés ouverts.
PS : Si vous avez positionné vos QBR/MBR différemment, ou si vous avez automatisé un process Customer Success avec un résultat surprenant (positif ou négatif), je suis curieuse de comprendre. Commentaire ouvert.
